Après sa flamboyante bande de filles de Saison des roses, la jeune auteure retrouve les tours et les âmes tourmentées de sa cité parisienne fictive. Avec la même clairvoyance et les mêmes couleurs explosives.
Elle avait signé l’une des belles BD de 2019, dans le fond comme la forme : Saison des roses plaçait alors l’émancipation féminine autour du football, scrutant à la loupe une bande de filles têtues et décidées d’aller chercher les garçons sur leur propre terrain. Une vision de l’intérieur, dépeignant les galères et les élans solidaires de ces vies à la marge, à laquelle répondait un dessin aux couleurs dispersées à grands coups de feutre. Quatre ans plus tard, Chloé Wary quitte le ballon rond, mais pas son envie d’en découdre, tournée ce coup-ci vers le hip-hop et les politiques d’aménagement du territoire.
L’auteure, qui n’a jamais quitté sa banlieue, reste aussi fidèle à celle qu’elle s’est inventée pour les besoins de ce diptyque : Rosigny-sur-Seine. Simplement car elle avait envie de «fouiller encore plus ce qui se passe dans cette ville», et de raconter les histoires que ses habitants «trimballent sur eux», comme elle le précise dans le dossier de presse. Si l’on croise quelques-uns de ses anciens personnages entre les tours (l’équipe féminine et son entraîneur Esteban, Jawad et son kebab), ce sont de nouvelles figures qui squattent les pages de ce Rosigny Zoo : Suzanna, Gaby, Will et Okmé.
Un quatuor inséparable issu du même quartier, mais dont les murs, comme l’amitié, se fissurent sérieusement. La raison? D’abord ces «Olympiades 2k24» (clin d’œil acide aux JO et au Grand Paris) qui transforment la banlieue de leur enfance en un vaste chantier. Au milieu des travaux et de cette métamorphose à ciel ouvert, la MJC locale, en ruine, tout comme l’association qui l’animait (Cœur 2 Cité). Ensuite leur trajectoire personnelle, celle de quatre jeunes qui entrent d’un pas bancal dans le monde adulte, avec cette question centrale : que faire? Entrer dans le système, quitter leurs familles et leurs racines? Et si non, existe-t-il vraiment une porte de sortie?
«La banlieue, c’est politique, bien sûr, mais c’est aussi très émotionnel. Les deux ensemble, c’est un combo explosif!», raconte Chloé Wary, ici en équilibre entre la sphère publique et privée. Sous son dessin s’anime alors ce zoo (le quartier en argot) où l’on «patauge dans les désillusions» : les petits boulots, les rendez-vous au Pôle emploi, les amours tiraillées, les familles décomposées, la précarité, les flics, les envies de fuite ou encore de prendre de la hauteur… Mais il y a aussi la solidarité, l’amitié et ce souffle créatif, exutoire même, qu’est le breakdance, véritable soupape de décompression.
Tout en se tapant l’incruste dans les milieux du hip-hop, l’auteure pointe du doigt la gentrification et le greenwashing des logiques d’aménagement du territoire, qui passent au rouleau compresseur le tissu associatif et les liens collectifs. Une colonisation injuste du moindre centimètre carré à rentabiliser. «Vous construisez des villes sans vous intéresser à ceux qui y vivent», clame ainsi Gaby, la plus énervée de la bande, en lutte contre les institutions, sa mère, et ce futur qui semble totalement verrouillé. Elle préférerait largement que son monde s’articule autour de cette maxime : «Au zoo, c’est quand on veut, où on veut!».
Une fois encore, Chloé Wary vise juste grâce à son regard honnête dénué de pathos, bien que Rosigny Zoo, pour ses multiples sujets sociologiques, aurait mérité de s’étendre. Qu’importe (ou tant pis). Comme à son habitude, elle souligne son histoire d’une palette qui claque comme un gros son de rap, au surréalisme assumé avec ses ciels orange striés de jaune et de rose. «Les couleurs au feutre, c’est le filtre entre la vraie vie et l’imaginaire», dit-elle encore. Ce qui ne l’empêche pas d’être au plus près de l’effervescence des battles, de cette énergie fédératrice à fleur de lino, de ces rêves, aussi, qui se matérialisent dans l’arène. Celle où les «fauves» se sentent totalement libres.
Rosigny Zoo, de Chloé Wary.
Éditions FLBLB.
La misère est si belle, zoo
L’histoire
À Rosigny, en prévision des «Olympiades 2K24», la mairie expulse et reconstruit à la va-vite sans se préoccuper de reloger l’association Cœur 2 cité, qui se retrouve à organiser des battles de break au «zoo», dernière zone encore en friche. Gaby, étudiante en sociologie, y retrouve ses amis d’enfance : Okmé, Will et Suzanna. Cette banlieue en train de changer va-t-elle les coincer pour le reste de leur vie ou faire exploser leurs liens?